Comment (et pourquoi) rédiger de manière inclusive?

Par Anaïs Demoustier et Déborah Lafont

En tant qu’OBNL, vous avez des missions qui s’appuient sur la communauté et des valeurs telles que l’ouverture, l’inclusion, la solidarité, etc. Pour mener à bien vos missions, ces valeurs doivent se retrouver dans vos services, vos images et bien sûr, vos messages.

Les messages, parlons-en… S’il est un aspect qui pose encore beaucoup de questions, c’est bien celui de la rédaction dite inclusive. En effet, malgré toute notre bonne volonté, il n’est pas toujours évident de savoir comment s’y prendre pour rédiger de façon épicène sans alourdir nos textes.

Pourtant, faire le choix d’une écriture inclusive (ou épicène) peut avoir un impact fort sur la communauté, votre clientèle, ou même votre propre équipe !

Déborah Lafont, consultante en linguistique et fondatrice de DL – Révision & Traduction, a accepté de nous donner des trucs et astuces ainsi que des pistes de réflexion pour implanter des pratiques plus inclusives dans nos organisations.

Anaïs Demoustier : Qu’est-ce que l’écriture inclusive ? Est-ce un synonyme de rédaction « épicène » ou « neutre » ? Peux-tu démystifier tout cela pour nous ?

Déborah Lafont (D.L.) : Bien sûr ! Il est vrai que ces termes sont fréquemment utilisés en ce moment et ça porte à confusion.

Avant de définir ce qu’est la rédaction inclusive, je te propose de revenir quelques siècles en arrière. En effet, selon Radio-Canada, c’est « seulement au 17e  siècle, lors de la création de l’Académie française, que le précepte du masculin qui l’emporte sur le féminin a été instauré. Des termes comme “doctoresse”, “autrice” ou “capitainesse” ont alors été bannis, en même temps que le droit des femmes à exercer ces métiers. »

Or, nos sociétés évoluent et la langue que nous utilisons se doit, selon moi, de refléter les nouvelles réalités culturelles et sociales. C’est dans cette optique, qu’au Québec on commence à documenter cette technique dans les années 1970 afin de « mettre en évidence de façon équitable la présence des femmes et des hommes ».

Aujourd’hui, l’écriture inclusive va plus loin, puisqu’elle vise à éviter les discriminations entre les genres, mais également celles liées aux situations de handicap, à l’âge et à l’origine ethnique.

Maintenant que je vous ai rappelé le contexte dans lequel a émergé la rédaction inclusive, revenons sur notre définition. Selon Basile Groussin, qui a mené des recherches sur l’écriture inclusive pour la fondation McConnell, l’écriture inclusive est une technique de rédaction qui « vise à adapter les mots, la syntaxe et la grammaire afin d’équilibrer la présence des femmes et des hommes dans les textes (…) ».

A.D. Quelles sont justement les diverses techniques de rédaction inclusive ? 

D.L. Eh bien, plusieurs choix s’offrent à nous. Parmi ces techniques de rédaction inclusive, on retrouve deux procédés :

  1. la féminisation lexicale (qui touche les mots) : ex. un directeur, une directrice; un vainqueur, une vainqueuse ;
  2. la rédaction épicène (qui touche le texte) : ex. Cette note est adressée au personnel (plutôt qu’aux employés et employées). 

Le premier procédé, la féminisation lexicale, est assez simple, donc je ne m’attarderai pas là-dessus. Le deuxième, par contre, requiert un peu plus de précisions.

Pour ce faire, voici un résumé non exhaustif des différentes ressources que j’ai consultées (OQLF), Usito, Université de Sherbrooke) à ce sujet :

Les doublets

Il s’agit de l’écriture des formes des deux genres (féminin et masculin), et ce, en toutes lettres.1

Exemples : Les candidats et (les) candidates recevront une convocation. On consultera un ou une notaire. Les employées et employés présents lors de la rencontre ont manifesté leur désaccord au syndicat.

Par ailleurs, comme vous le savez, la langue française aime les exceptions et règles spécifiques, donc, les doublets n’y échappent pas : 

  • Si on renvoie à des termes utilisés précédemment dans les deux genres au pluriel, on peut remplacer ces termes par le pronom masculin pluriel (ils) : ex.  Les techniciennes et techniciens doivent assurer… Ils doivent aussi…
  • Si ce n’est pas le cas, on se sert des pronoms masculin et féminin : ex. Tout le personnel a été invité à cette réunion. Ceux et celles
  • L’accord du participe passé se fait au masculin pluriel s’il se rapporte au masculin et au féminin : ex. Les directrices et directeurs sont priés de…

A.D. Oh, donc, si je comprends bien, le masculin « l’emporte » quand même à un moment?

D.L. C’est une très bonne question! Et si tu me le permets, je vais faire une petite parenthèse à ce sujet, car on me demande souvent comment accorder la phrase dans ce cas-ci.

En fait, plutôt que le masculin « l’emporte » sur le féminin, je formulerais cela ainsi : « l’accord doit se faire au genre masculin », comme le conseille l’Office québécois de la langue française (OQLF). En effet, « les règles grammaticales n’ont pas changé. Le masculin est encore le genre générique, c’est-à-dire le genre grammatical utilisé pour désigner les personnes sans distinction de sexe (…). Le masculin est également toujours de mise dans l’accord de l’adjectif lorsque sont coordonnés un nom masculin et un nom féminin, comme dans les politiciennes et les politiciens étrangers. »

« On comprendra toutefois que l’emploi exclusif du masculin générique (…) ne permet pas de donner de visibilité aux femmes dans les textes. » C’est pourquoi avoir recours aux termes et tournures neutres peut s’avérer utile dans ce cas.

Les mots et tournures neutres ou épicènes

Le deuxième procédé de rédaction inclusive est le recours aux mots et tournures épicènes. Par l’adjectif épicène (ex. nom épicène, adjectif épicène, pronom épicène), l’OQLF entend « qui conserve la même forme au masculin et au féminin » (ex. responsable, apte, nous, vous, personne, aucun, quiconque, plusieurs). De plus, épicène est souvent utilisé comme synonyme de neutre dans ce cas-ci.

Étant donné que ce procédé évite les doublets, il allège de façon considérable le texte. Même s’il nécessite une adaptation syntaxique de la phrase, c’est celui que je vous suggère de privilégier, surtout pour les textes courts ou les formats restreints.

  • Les mots neutres2 : noms communs, adjectifs et pronoms épicènes

Ayez recours à des noms qui désignent aussi bien des hommes que des femmes, tels que : une personne, les gens, la direction, le personnel, le public, l’assemblée, la clientèle, le spécialiste, le secrétariat, etc.

Exemple : C’est une note adressée au personnel. (Plutôt que : C’est une note adressée aux employés et employées.)

  • Les tournures de phrase neutres, les constructions infinitives ou nominales

Outre l’utilisation des mots neutres, vous pouvez également repenser la structure de vos phrases afin de rendre celles-ci plus inclusives et éviter d’utiliser des termes dits genrés et les pronoms féminins et masculins.

Exemples : L’artiste a plusieurs choix : sculpter, peindre ou graver. (Plutôt que : L’artiste a plusieurs choix : il ou elle peut sculpter, peindre ou graver.) Avez-vous la connexion Internet ? (Plutôt que : Êtes-vous connecté ou connectée à Internet ?)

C’est sûr que cela nécessitera quelques ajustements au début, mais je crois sincèrement que c’est une habitude à prendre, une attention particulière à porter à vos textes si vous souhaitez être plus inclusifs dans votre documentation d’entreprise.

A.D. Quel procédé pour quel canal de communication et/ou support ?

D.L. Afin d’assurer la lisibilité et la clarté de votre texte, je vous conseille vivement de pondérer et d’adapter vos procédés de rédaction épicène en fonction du type de texte, du type de support et du canal de communication que vous utilisez.

Pour ce faire, voici un petit aide-mémoire à ce sujet :

Types de supportProcédé(s) à utiliserExemple
Offre d’emploi / descriptif de posteMots et tournures neutresLa personne responsable devra effectuer les tâches …
Publication sur les réseaux sociauxSi l’espace le permet, utilisez les doubletsChers lecteurs, chères lectrices…
Site Web / pamphlet publicitaireMots et tournures neutres pour alléger le texte
Rapports (annuel, d’activités, d’enquête, etc.)Mots et tournures neutres pour alléger le texte (sauf s’il est pertinent d’établir une distinction au niveau du genre)La direction a établi que cette année, les objectifs stratégiques seraient les suivants …
Formulaire (de contact, ou à remplir par la clientèle)Doublets, voire même retirer tout choix de genre à faire Sexe : homme, femme, ne préfère ne pas répondre, autre.
Tableau 1. Procédés à utiliser en fonction du support

Voilà ! J’espère avoir démystifié un peu le tout. J’espère que cela t’aidera, ainsi que tes lecteurs (ou plutôt, devrais-je dire, ton lectorat ou ton auditoire… 😊) !

A.D. Merci beaucoup, Déborah! Je pense que tes conseils nous seront bien utiles. 

En effet, si écrire de façon inclusive ou neutre demande certainement une gymnastique intellectuelle au début, les impacts sont nombreux et forts, surtout pour des organisations visant à l’intégration ou à l’inclusion. 

Alors pourquoi ne pas se lancer, un pas à la fois ?

Si vous êtes partants, voici quelques questions à vous poser pour savoir par où commencer :

  • Et vous, où en êtes-vous dans votre organisation ? 
  • Quelles seront vos prochaines étapes en lien avec l’utilisation d’un langage inclusif au sein de votre organisation ? 
  • Quels types de documents devriez-vous modifier, le cas échéant ? 

Bonne rédaction !


1Les formes tronquées (patient.e, ingénieur(e), lecteur/trice, etc.) ne sont plus recommandées, car elles entrainent* un manque de lisibilité et ne sont pas toujours reconnues par les logiciels de lecture pour les non-voyants.
2Pour la liste complète des noms épicènes de l’OQLF et d’Usito, cliquez respectivement ici et ici.

*Ce texte est conforme à la réforme orthographique.

Bibliographie :

ARBOUR, Marie-Ève, et Hélène DE NAYVES. Formation sur la rédaction épicène, [Fichier PDF], [Québec], Office québécois de la langue française, [2020], 76 p. https://www.oqlf.gouv.qc.ca/redaction-epicene/formation-redaction-epicene.pdf (consulté le 16 février 2021).

VACHON-L’HEUREUX, Pierrette et Louise GUÉNETTE. Avoir bon genre à l’écrit : Guide de rédaction épicène, [Québec], Office québécois de la langue française, Les Publications du Québec, [2006], 209 p. 

Guide relatif à la rédaction épicène : respect des genres masculin et féminin, Université de Sherbrooke, [2008], 8p. https://www.usherbrooke.ca/langue/fileadmin/sites/langue/documents/guide_redacepicene.pdf (consulté le 16 février 2021).

GROUSSIN, Basile, Résumé des recherches sur l’écriture inclusive, La fondation McConnel. 8p. https://mcconnellfoundation.ca/wp-content/uploads/2019/03/Resumee-sur-lecriture-inclusive.pdf (consulté le 21 février 2021).

2 commentaires sur « Comment (et pourquoi) rédiger de manière inclusive? »

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :